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"Alors que je montai les escaliers pour rejoindre enfin notre logement, je vis que des gendarmes en arme m'attendaient à la porte.
- Mon colonel ! dit le plus gradé des trois. Nous sommes venus pour vous arrêter.
- M'arrêter ? Moi ! Vous vous moquez de moi, j'espère ?
- Du tout, mon colonel ! On vous a laissé accompagner votre dame et vos enfants afin qu'ils ne voient pas ça, mais je suis... Pardon, mais je suis désolé, nous avons reçu des ordres.
- Des ordres ? Mais de qui donc ? demandai-je furieux.
- Du commandant ! Enfin, le chef d'escadron de la gendarmerie Le Blanc de Monthault.
- Ce jeune royaliste nouvellement promu ? Ça promet.
Ce ne fut que dans le début de la matinée que je fus soustrait de ma cellule et conduit, entravé aux poignets et aux chevilles, dans le bureau de ce jeune chef d'escadron. Je fus traité comme le pire des criminels par ordre de ce jeune premier qui n'était autre qu'un fanfaron. Il se donna des airs d'officier supérieur alors qu'il n'en avait pas du tout la trempe. Je me promis, à l'avenir, quelque fut mon sort réservé à l'instant où j'y pensai, que je mènerai une enquête sur cet homme-là.
- Cocheril ! dit-il sans aucun respect ni politesse. Vous...
- Colonel Cocheril, je vous prie, pour le moment, je suis encore votre supérieur hiérarchique.
Le Blanc de Monthault sourit, un sourire mesquin tout en épiant le moindre de mes gestes impossibles à faire puisque je ne pouvais pas bouger, mais il devait avoir peur de ma réaction. Il ne répondit pas à mon intervention.
- Vous êtes reconnu coupable d'allégeance à l'empereur, définitivement exilé sur la principauté de l'île d'Elbe.
- Je suis reconnu coupable ? Mais alors par quel tribunal ?
- Vous avez le choix, en fonction de votre grade, de pourrir en prison jusqu'à ce que mort s'en suive, ou rejoindre votre domicile, y demeurer en résidence surveillée, être un demi-solde jusqu'à votre âge de retraite qui sera calculée sur cette demi-solde, bien entendu. Il vous sera également interdit d'avoir un autre emploi puisque vous conserverez le grade actuel, inutile dans le civil, mais qui peut vous apporter des honneurs que nous ne reconnaissons de toute façon plus.
Je vis bien qu'il me fut impossible de répondre, j'attendis donc qu'il m'en donnât l'autorisation, de répliquer à d'éventuelles questions pour enfin m'exprimer et faire mon choix.
- Vous avez aussi d'autres possibilités qui s'offrent à vous, demi-solde donc, mise à la retraite, démission plus ou moins spontanée, surveillance à domicile que je viens de citer, ou encore l'exil. J'ai appris ce matin que votre épouse et vos enfants étaient partis hier en famille, vous devriez être raisonnable et les rejoindre. Vous y avez toute votre famille, il me semble, vos parents, de frères et des sœurs, vous y serez mieux qu'en exil ou en prison. Si vous avez des questions, je vous écoute, mais essayez d'en réduire le nombre, je n'ai pas de temps à perdre avec les traitres".
Jan Cocheril, lieutenant-colonel de la Gendarmerie confronté comme tous les militaires à cette période-là, est soumis aux changements dans l'armée avec l'exil de l'empereur, l'accession au trône de Louis XVIII, frère du roi décapité, puis du retour de l'empereur pendant les Cents-Jours, et à nouveau son départ. Cette ultime fois, Jan se retrouve chassé de la Gendarmerie et devient un demi-solde, obligé de rester enfermé à La Gautrais, chez son oncle Pierre, à Saint-Briac. Même s'il n'est plus en service, sa seule enquête consiste à retrouver un être cher disparu.
Tome 13 sur 13 de la saga Jan Cocheril
Illustration : Tifenn-Athénaïs David (Instagram : la_petite_fee_spaghetti)
537 pages