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Philosophie et exégèse constitue la fin d’un triptyque dont les deux premiers volets avaient respectivement pour titre Vers une pensée biblique et Bible, sagesse et philosophie. À partir d’un dialogue entre approche philosophique et approche exégétique, il s’agit de tracer les chemins d’une autre pensée que l’on pourrait nommer philexégèse, d’un autre langage. Pour illustrer concrètement les possibilités ouvertes par ce double regard, le présent essai se penche sur le temps, le beau, la condition humaine et l’expérience du mystère. Qu’est-ce que l’on peut dire quand on croise philosophie et exégèse sur ces sujets?
La pensée exégétique, attachée à la science et familière de la poésie, apparaît comme une pensée existentielle et herméneutique, en quête de sagesse, qui découvre le Logos comme Pensée de la pensée. C’est une pensée du cœur, de l’esprit et du mystère, qui conjugue la rigueur dans la lecture des textes et la liberté créatrice dans le développement de la réflexion, science et art. Du dialogue entre philosophie et exégèse naissent une anthropologie, une éthique et une esthétique des profondeurs. La vraie connaissance ne peut ignorer l’expérience qui demeure le socle de la pensée. Ainsi peut advenir une pensée différente, attentive aux voies de l’intériorité, une pensée de l’écoute, une pensée de l’être et de la vie, attachée à l’homme et à ce qui le fonde.
Court extrait
L’homme qui peut témoigner librement de la vérité et de la beauté, de Celui qui les incarne à ses yeux, est appelé à traduire les signes de l’univers qui l’entoure. Exister se révèle inséparable d’interpréter. Notre vie s’écoule au milieu des signes. La compréhension exige le geste de la traduction[1]. Les signes tracent comme un message caché au sein de la création. Ne pas traduire, ne pas interpréter, c’est s’exiler du sens. Celui qui traduit croit au sens. Si nous sommes immergés au milieu des signifiants sans signifiés, le voyage devient circulaire, sans destination. Si au contraire ces signifiants expriment un signifié, il convient de les interpréter pour donner sens au voyage. L’homme est la seule créature qui peut interpréter, traduire, car c’est la seule créature douée d’esprit. La traduction est l’acte de l’esprit qui recherche la lumière.
Notre existence apparaît comme une existence langagière. Nous sommes installés dans le langage, plus précisément dans des langages. Les langages techniques, scientifiques, rationalistes, à tendance hégémonique aujourd’hui, se superposent à des langages poétiques, artistiques, imaginatifs, plus originaires. Comme l’enfant en l’homme développe volontiers un langage lyrique, symbolique, l’humanité dans son enfance privilégiait un tel langage. Ainsi « la poésie est (…) la langue maternelle du genre humain »[2]. Elle est la langue des profondeurs, celle qui véhicule le plus de poids d’humanité. En ce sens habiter en poète revient à habiter au cœur de l’humain. Au langage scientifique, il faut toujours ajouter le langage poétique. L’homme de savoir, de connaissance ne doit pas oblitérer l’homme créateur, artiste. Derrière la multiplicité, nous recherchons l’unité. Ainsi « la nostalgie de la langue originaire », « langue universelle »[3], reste vivante en nous. La langue universelle est celle de la communication pure, celle qui nous échappe sans cesse et toujours nous attire.
1] « (…) comprendre, c’est traduire ». Georges Steiner, Après Babel, cité par Paul Ricœur, Sur la traduction, Paris, Bayard, 2004, Le paradigme de la traduction, p. 44, 50.
[2] Franz Rosenzweig, L’écriture, le verbe et autres essais, Paris, P.U.F., 1998, L’Écriture et le verbe, p. 93.
[3] Paul Ricœur, op. cit., p. 42. Par-delà la pluralité des langues, « il n’y a (…), inaudible mais impossible à passer sous silence, qu’une langue, celle de l’esprit ». Martin Buber, Une nouvelle traduction de la Bible, p. 46.