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Drieu est un autre moi-même. Pourtant, je ne suis ni séducteur comme lui, ni athlétique, ni politisé, ni fasciste, encore moins suicidaire car le suicide reste le croche-pied de la mort. J’aurais pu être tout cela si je n’avais pas été un bavardage de moi-même. Drieu s’oppose à ce que je suis mais ses livres se comportent comme mes autobiographies. De tous ses livres, Gilles est celui que j’aime le moins et qui m’est le plus proche. On rentre dedans comme on traîne des pieds lorsqu’un voisin vous invite à l’apéritif. On anticipe d’abord l’ennui. Cela va être long et épais. « L’inconvénient du roman de durée, c’est la monotonie ». Le saucisson sera déjà découpé dans une coupelle. Et il faudra en dévorer plusieurs tranches. Il y aura une malle à alcools et on va parler des enfants. Bref, cela ressemble à une mort dont on garderait le souvenir anthume. Et, pourtant, après quelques laxatifs lexicaux, Drieu la Rochelle devient petit à petit Drieu. Les gens qui n’aimaient pas Mitterrand, prononçaient son nom en l’amputant du « e ». Les lecteurs, qui aiment Pierre, l’appellent Drieu. La Rochelle, cela fait provincial. Drieu ne vient de nulle part, même s’il est né et mort à Paris. D’ailleurs, il voulait qu’on le lise exclusivement depuis Carpentras comme sa préface de mille neuf cent quarante-deux nous y invite. Alors pourquoi Gilles ? D’une part, parce que tout le monde ne peut pas s’appeler Raymond. D’autre part, Gilles est le roman de toutes les générations. Il y a dans ce texte toutes les révoltes abâtardies, toutes les initiations niaises et tout le drame que de jeunes hommes théâtralisent. Il y a aussi du venin et quelques crachats résiduels que Céline n’avait pas exploités. En ce sens, Gilles n’est pas plus d’entre-guerres que d’après-guerre. C’est un roman qui empeste. L’odeur vous poursuit. C’est un roman né posthume comme un déodorant vidé. Que l’on songe à l’année mille neuf cent trente-neuf. Le prix Nobel de littérature est décerné à Frans Emil Sillanpää, eh oui ! Le prix Goncourt à Philippe Hériat, eh oui ! Être pris en sandwich par ces deux brêles laisse de la marge à Drieu pour aligner son étal. Les imbéciles cacophoniques disent de Drieu qu’il n’a pas écrit de chef-d’œuvre, de même prétendent-ils que les romans de Léon Bloy ou de Marcel Moreau sont mal fichus. Par quel mystère demande-t-on toujours aux idiots leur avis ? Il semble que la crétinerie dispose d’un passe-droit pour crétiniser.